Pratiquer Vipassana sans en perdre le sens, par Charles Genoud
Comment aborder la pratique de Vipassana sans en perdre le sens ? Le terme "Vipassana" vient de la langue pali et signifie "vision tranchante". Que faut-il donc trancher dans notre vision ordinaire du monde et des êtres et pourquoi ?
Méditation et enseignement par Charles GENOUD, les 21 et 22 mai 2022 au FORUM 104 (salle Crypte)
Sati : Pleine Conscience & Présence
Dimanche 22 mai 2022, enseignement de l'après-midi
Transcription
Dans la perspective de ne pas perdre le sens de l’essentiel de la pratique de Vipassana [...], un des points importants, c’est qu’on utilise des mots, et selon le contexte ils ont des sens différents. Si on ne fait pas de distinction, on a de la peine à comprendre ce de quoi il s’agit.
Le terme le plus important dans la pratique de la méditation bouddhique de manière générale, c’est ce terme qu’on traduit souvent par “Pleine Conscience”, ou par “Présence” ou par “Attention”. Le terme en pali, c’est Sati. Dans la tradition Pali aussi, il est employé avec des sens différents selon le contexte. Si on utilise toujours “Pleine Conscience” sans faire de distinction selon le contexte, on ne peut pas comprendre ce dont il s’agit parce que le sens diffère. Donc j’aimerai essayer d’expliquer Sati (que j’emploierai en Pali parce que ça permet de garder les différentes possibilités ouvertes), Pleine Conscience parce que c’est le terme qu’on utilise, et Présence, c’est le terme que j’aime bien utiliser.
C’est vraiment le cœur du cheminement de la méditation bouddhique, toutes traditions confondues.
Le premier sens, c’est vraiment le sens d’attention, l’attention qui porte sur quelque chose, l’attention qu’on porte à la respiration, l’attention qu’on porte aux sensations dans une jambe, etc. Et ça, c’est quelque chose évidemment qu’on connaît bien, puisqu’on l’utilise constamment. On sent très bien quand on a un déficit d’attention - disons occasionnel pour ne rien dramatiser - combien tout d’un coup on n’est pas efficace. Si je dois faire de la comptabilité et que je suis distrait, ça va être compliqué. Il va bien falloir avoir cette qualité d’attention. Dans n’importe quelle activité en fait, pas seulement la comptabilité. Il faut un certain degré d’attention. Et nous l’avons. C’est une qualité, un facteur que tout le monde a.
Mais dans la méditation, on va essayer de le développer d’une manière un peu plus profonde, parce qu’on va cibler le développement de cette attention, qui nous permettra ensuite de passer au deuxième sens de Pleine Conscience, qui est plutôt la Présence.
On commence par l’attention qu’on porte sur quelque chose, et on verra le sens qu’on donne à Présence. Donc l’attention peut porter sur différentes choses. Dans la méditation, ça peut porter sur les sensations corporelles, sur le processus de la respiration, ça peut porter aussi sur l’audition des sons, ça peut porter sur le goût (quand on mange par exemple), ou l’odorat (si on va dans le jardin, il y a un peu de pluie..)
Donc ça peut porter de la manière la plus simple, quand ça porte sur les expériences sensorielles. Parce que les expériences sensorielles ont certaines caractéristiques qui font que c’est plus simple de développer cette qualité d’attention aux expériences sensorielles, plutôt qu' à des choses plus compliquées comme les pensées ou les concepts - là c’est plus difficile.
Donc tout d’abord ce premier sens, l’attention est dirigée vers un objet, vers quelque chose, vers une expérience. Évidemment, dans le fait de diriger l’attention vers quelque chose, ça implique une distance. Ça implique une séparation. Si je dirige l’attention vers ma respiration, je suis à distance. Si je dirige mon attention vers les sensations dans les jambes, ça implique une certaine distance. D’une certaine manière, je peux observer. J’observe quelque chose. Et pourquoi est-ce qu’on commence par là ? Parce que c’est l’attitude qui nous est la plus familière. On sait très bien observer. Donc on prend cette attitude familière, mais on essaie là de la canaliser pour qu’elle se stabilise. Dans la vie quotidienne, elle peut être plus fugitive, l’attention se plaçant sur différents phénomènes, zones d’expériences, les unes après les autres.
Dans la méditation, on essaie de limiter cette sphère pour que cette attention se stabilise sur quelque chose, qu’elle se contente d’une sphère d’expérience… sans vouloir à tout prix autre chose.
Avec le multitasking, on se rend bien compte qu’on voudrait beaucoup de choses à la fois. Là c’est un peu l’opposé, on revient à quelque chose de plus simple, d’où l’attention à la respiration, aux sons, etc.
Ceci est essentiel pour développer la tranquillité : on utilise cette qualité d’attention, en plaçant l’esprit sur une sphère d’expérience particulière.
Mais il faut encore une deuxième qualité pour développer la tranquillité, c’est la vigilance. Ça sera la jonction de ces deux pratiques, l’attention et la vigilance, qui va permettre de développer les plus profonds degrés de tranquillité et de stabilité de l’esprit.
Le travail de la vigilance, c’est de reconnaître quand l’esprit est distrait. Et c’est fondamental évidemment. Vous savez tous bien dans la pratique au bout d’un certain temps - ça peut être 2 min, ça peut être 10 min, ça peut être une demi heure - on se dit : “Je voulais être présent, et puis tout d’un coup j’ai été aspiré par ceci et cela.” Ce qui va permettre de reconnaître ceci, c’est la vigilance. “C’est pas là que j’ai envie d’être, c’est pas là que je suis supposé être”. Donc la vigilance reconnaît cela, et l’attention est ce qui nous ramène à la sphère choisie.
Je m’assieds, je médite.. Voilà je suis en train de planifier ma journée de demain, ah je me dis là non, c’est pas ça, c’est pas ce que j’ai envie de faire, et l’attention va me remettre sur la respiration par exemple. Donc c’est l’équilibre de ces deux attitudes qu’on va habilement combiner qui va permettre le développement de la tranquillité.
Si mon esprit est stable sur l’expérience (ou la respiration), il ne faut pas que je fasse appel constamment à la vigilance, parce que si je me dis constamment, “est-ce que je suis vraiment dans la méditation?”, ça va devenir une distraction en soi-même. Donc il faut savoir comment jongler entre ces deux attitudes.
En général, on parle de Pleine Conscience sans faire ces nuances, mais c’est important par moment de se rendre compte qu’il y a ces deux aspects. Pas simplement le fait de se rappeler où on veut placer l’esprit, mais aussi d’être conscient de ce qui se passe. Là on est dans le premier sens de Sati, dans le sens d’attention.
Et puis ensuite comme l’esprit se calme, se stabilise, on va passer au sens un peu plus profond, qui est ce qu’on appelle Présence - qu’on peut aussi appeler Pleine Conscience (mais là c’est différent).
Si dans le premier mouvement, l’attention est le fait de diriger l’esprit vers - vers quelque chose, ce qui implique toujours une distance - (et on prend ce mouvement habituel parce qu’on sait très bien diriger l’esprit vers ceci ou cela, donc on a utilisé cette habitude); maintenant il va s’agir de laisser tomber cette habitude (de diriger l’esprit vers parce qu’il maintient une distance) puisque dans le fond c’est de nous qu’il s’agit, on n’est pas en train d’explorer le monde qui nous entoure ou les planètes ou le plan de Paris. Donc si on restait toujours à distance, comment est-ce qu’on pourrait se connaître profondément, intimement, si on se maintenait toujours à distance de soi-même.
Dans cette phase-là, dans ce qu’on appelle le Vipassana, il s’agira de relâcher l’orientation. On relâche l’orientation vers, pour reposer sur l’expérience. L’esprit s’est calmé, a une meilleure sensibilité, on ne va plus diriger l’esprit vers, l’attention vers quelque chose, mais on va reposer sur chaque expérience.
Avant on avait ce mouvement qui allait vers l’extérieur, ou vers différentes parties de soi-même, et maintenant, puisque l’esprit est plus stable, il va reposer sur chaque expérience. Il ne sera plus en train de se mettre à distance, il reposera sur chaque expérience. C’est pour ça qu’on l’appelle “Présence”, parce que la présence, évidemment elle n’est pas dirigée vers, la présence elle est posée sur elle-même. (Alors que “Pleine Conscience” c’est plus compliqué, on pourrait aussi utiliser Pleine Conscience de quelque chose, mais il y a aussi ce sens de reposer sur l’expérience elle-même.
Ce mouvement qui est tourné vers quelque chose d’autre, lorsqu’il se stabilise, on n’a plus besoin de maintenir son orientation, pour que l’esprit revienne en lui-même, et repose sur les expériences qui surgissent, qui surgissent d’auditions, d’émotions, d'expériences corporelles.
Et si on oublie cette phase-là, on oublie le sens plus profond de la pratique de Vipassana, parce que c’est dans cette intimité à chaque expérience, qu’on va pouvoir explorer chaque expérience sans passer par des croyances et des concepts. Ça va être une expérience immédiate, intime, de la vie telle qu’elle se manifeste à chaque instant. Avant toute conceptualisation. Avant toute interprétation.
Ce qui veut dire qu’on va être dans une connaissance de soi, dans une expérience de soi, qui va être dépourvue de tout préjugé. Il va y avoir là une sorte de révolution, de mise en question, puisqu’à ce moment-là, on ne va pas passer par des représentations pour être, pour se connaître soi-même. On va être dans quelque chose de plus intime.
Le terme qui décrit cette pratique là, qui est Satipatthana : sati qui est l’attention, la Pleine Conscience, et Padana qui veut dire placer à proximité, mais cette proximité, c’est une absence de distance. Et tout l’art que nous développons, c’est cet art d’être sans distance par rapport à soi-même.
C’est un développement, c’est une pratique qui se développe. Si on commençait par simplement dire : “Soyez présent à vous-même, ou à chaque expérience”, on se rendrait compte que c’est difficile. On se demande “Mais qu’est-ce qu’il faut faire?”. Alors qu'en commençant par l’attention placée sur - la respiration et autre, différentes sensations - que lentement, l’esprit se calmant, on va commencer à pouvoir avoir accès à ce rapport intime à chaque expérience qu’on appelle Présence.
Pour revenir à ce dont j’ai parlé hier, je relis une définition de Sati, la personne qui la donne, voilà ce qu’elle dit : “La méditation Satipatthana ne consiste pas à se souvenir de quelque chose, mais à être pleinement dans le moment présent”. Vous vous rappelez ma remarque : il n’y a pas de moment présent dans lequel on puisse être, ça ne veut rien dire : ce n’est pas un lieu, ni un temps. Ce dans quoi on est, si on veut parler en ces termes, c’est l’expérience présente. Le présent n’est pas quelque chose qu’on objectifie. C’est l’expérience présente. Il y a toujours une expérience qui surgit. Il faut faire attention à ces formulations. Les formulations sont très importantes en méditation. Parce qu’avec des formulations fautives comme ceci "Être pleinement dans le moment présent” et bien les personnes vont peut-être chercher ce présent où elles pourraient reposer, ce qui est évidemment une impossibilité.
Je crois qu’on est encore dans une période où on apprend à trouver le langage juste, ce qui ne veut pas du tout dire qu’il a toujours été juste, même dans les textes anciens. Dans les textes anciens aussi, il y a aussi des ambiguïtés. J’ai regardé dans les textes Tibétains, on a aussi cette même confusion par moment. Donc, il ne faut pas croire que chaque fois on a été attentifs à ces nuances. Et puis de temps en temps, il y a d’autres textes qui sont beaucoup plus précis, et qui mentionnent ceci. Je me rappelle un enseignement de mon vieux maître Tibétain, Dilgo Kyentsé Rimpoché “Quand on observe les pensées qu’on peut observer, ce qui observe et ce qui est observé sont une et même chose.”
Il n’y a pas de retour, il mentionnait bien cette une et même chose. On pourrait dire que dans cette pratique de Vipassana, dans la Présence, ce qui observe et ce qui est observé c’est la même chose. Je ne sais si ça aide, mais c’est pour montrer qu’on ne se met pas à distance de l’expérience. C’est important de le comprendre, parce que si on croit qu’on peut se connaître en s’observant, alors il y a un problème. Parce que qui connaît quoi ? Si on se connaît en s’observant, alors on observe quoi ? Ou bien celui qui observe n’est pas la conscience donc ça ne sert à rien, ou bien ce qui est observé, ce n’est pas moi donc ça ne sert à rien du tout. Donc c’est bien : “L’observation et ce qui est observé est la même chose”. C’est pour ça qu’on parle de Présence.
Ce ne sont pas que des mots. Dans la pratique, on va explorer ceci. Ce n'est pas juste une question d’intention. C’est vrai que ça demande une plus grande sensibilité, qui est là parfois. Mais c’est important de savoir qu’on va dépasser ce stade de l’observation. Quand on enseigne des retraites etc., il y a toujours des gens, même des gens qui ont beaucoup médité, qui disent “Ah mais alors, il ne faut pas observer ?”. Non, le but ce n’est pas l’observation, même si c’est une étape. On ne nie pas l’observation, mais on ne va pas s’arrêter là. Autrement la méditation devient une manière de se tenir à distance.
Il peut y avoir dans la méditation, une sorte de quête de tranquillité, en se tenant à distance de soi-même : “Je ne suis pas concerné, je regarde mes émotions…” C’est dramatique, parce que c’est comme si on voulait être tranquille dans la vie en se retirant de la vie. “Moi, mes émotions, pas de problème, elles passent etc.” Or c’est absurde, c’est l’inverse : il s’agira d’être pleinement dans la vie et trouver la liberté dans la vie, pas de rester à distance de la vie. C’est bien plus facile évidemment de se tenir à distance de la vie, puis dire “Bon ben moi, ça ne me dérange pas trop…” mais “Plus rien ne me touche non plus”.
Donc pour découvrir ce que nous sommes réellement, il s’agira d’être sans distance par rapport à soi-même. Sans nous couper de nous-même. ça évidemment c’est quelque chose que - j’allais dire qu’on n’apprend pas à l’école - qui est pour ainsi dire “inutile”, ce n’est pas dans une activité professionnelle qu’on va développer ceci, d'une manière générale.
C’est vrai qu’il y a certaines activités où cette présence là sera importante. Psychothérapeute. Je parle souvent d’un danseur et d’une danseuse. S’ils sont en train de se regarder danser, ça ne va vraiment pas jouer. Si vous enseignez le Tai Chi ou le Qi Gong, si vous êtes en train de vous observer en train de faire le Tai Chi ou le Qi Gong, ça ne va pas être très inspirant. Dans la psychothérapie aussi, je ne suis pas un spécialiste, mais évidemment s’il y a une qualité de présence de la psychothérapeute ou du psychothérapeute, il y a quelque chose qui peut se passer. Un comédien ? Oui, un comédien aussi, on a des exemples.. tout à fait.
Alors j’aimerai aborder - tranquillement on va s’approcher des émotions - ce problème de l’observation. Qui nous maintient à distance. Il concerne à la fois le corps et l’esprit. Parce que dans le fond, le corps que l’on explore en méditation, ce n’est pas le corps qu’on montre, ce n’est pas le corps qui est vu de l’extérieur : c’est le corps vécu.
Avec le corps il y a une ambiguïté, puisque dans le fond le corps est aussi ce qu’on montre, ce qui se voit, mais ce qui se voit, ce qui se montre, ce n’est pas la même chose que ce qui est vécu. Dans mon expérience, si je suis debout, j’ai les yeux fermés, j’ai pas d’image ! (enfin je n’ai pas d’image, je ne vois pas le corps visuellement, je peux en avoir une image mentale) donc c’est ce corps vécu. On parlait de l’acteur, ou du danseur et de la danseuse, c’est la même chose : ce n’est pas un corps imaginé (sauf dans certains cas précis) : c’est un corps de présence. C’est très différent. Ce n’est pas un corps solide - où cette solidité est quelque chose, est un concept qu’on rajoute -, c’est un corps pleinement vécu. Et à ce moment-là, Corps et Esprit ne sont pas différents. Il n’y a pas : “le corps est ici, l’esprit est là”. C’est le corps vécu qui est un corps de présence.
Donc si on observe le corps, de la même manière on est à distance de ce qui est vécu. Ça va être toute la richesse aussi de la méditation en marchant, en mouvement, que de découvrir ce que c’est que d’être ce corps en mouvement, qui est une immense richesse et une immense découverte, et qui est aussi le moyen d’éliminer beaucoup de stress. Cette distance qu’on peut avoir par rapport au corps crée le stress. Si je vais à la gare et que je vais vite, mon esprit va plus vite que le corps, et je tire le corps jusqu’à la gare, ça va être très tendu. Si je marche rapidement mais qu’il y a cette unité, il n’y aura pas de stress. Dans cette unité, il y a déjà un apaisement immense.
Mais alors en ce qui concerne l’esprit, la conscience, les émotions, puisque c’est ce qui nous intéresse, c’est encore plus marquant : de croire qu’on pourrait observer les émotions, ça a quelque chose de complètement absurde. Même si évidemment on l’entend (ou on le fait).
Comment l’esprit peut observer l’esprit ? Il n’y en a qu’un, ça suffit, c’est déjà pas mal de boulot. Mais s’il y en a deux, un qui observe l’autre. Ou bien celui qui observe, il ne peut pas observer l’esprit parce qu’il est lui-même l’esprit, ou bien ce qui est observé c’est l’esprit mais il n’y a plus rien pour l’observer. Donc il s’agit bien de cette unité où ce qui est observé et ce qui observe sont une et même chose.
Le mot “émotion” est un terme assez vague. Avant on parlait de passion. Et on met dans cette boîte-là beaucoup de choses différentes. J’ai pris la liste que Descartes donnait, c’est assez intéressant, lui parle des passions, mais c’est ce qu’on nomme ici émotions. Voilà ce qu’il nomme, Il dit qu'il y en a 6 essentiels (les autres sont des dérivées) : l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse. On n’a pas “peur”, on n’a pas “angoisse”. Il y a des choses qui nous manquent un petit peu… L’admiration, c’est intéressant comme émotion “Wah, je suis pris d’une telle admiration!” …Pourquoi pas, oui. Donc le terme “émotion” reste quelque chose d’assez mal défini.
Dans le contexte ici, ce qu’on entend par “émotion”, c’est quelque chose qui perturbe l’esprit, et qui implique une vision déformée de la réalité. Si ça n’implique pas une vision déformée de la réalité, on ne parlera pas d’émotion, on donnera un autre terme. Juste pour savoir comment on va le traiter dans la méditation. Ce n’est qu’une question de terminologie, il y a bien dans ce sens d’émotion, de passions, quelque chose qui dérange, qui nous fait bouger dans un certain sens. Il s’agira d’explorer cette émotion, on verra toute la structure. Il y a dans cette émotion une dimension de confusion.
Je vous donne une autre citation “Une émotion est une idée confuse, si donc nous formons de cette affection une idée claire et distincte, l’émotion cessera d’être une passion” (de nous déranger). C'est Spinoza qui dit ça. Il y a bien le sens dans le fond : “Si on amène de la clarté, on va pouvoir se libérer. Si on amène de la clarté dans ce mouvement qui est l’émotion, on va pouvoir s’en libérer”. Réflexion d’un grand philosophe.
On ne peut pas observer l’émotion, ce n’est pas un corps étranger. Si on veut l’observer, on en fait une chose et on la maintient à distance, et on ne peut pas vraiment découvrir ce qu’elle est. Si on dit : “On ne peut pas l’observer”.. On peut être d’accord mais alors qu’est-ce qu’on en fait ? “J’ai pas le droit de l’observer, qu’est-ce que je vais faire avec cette émotion?”
Quand on observe quelque chose, ou quand on observe une émotion, c’est comme si en tant qu’observateur/observatrice, on se plaçait dans une position stable, et on observait quelque chose d’autre. Et le fait de se placer dans cette position stable (le “moi”, le “je”) donne l’impression de la durabilité. C’est comme si l’émotion aussi existait dans la durée. L’émotion existe dans la durée parce que je suis là, je me place en tant qu’observateur/observatrice, stable, “moi je” alors il y a cette stabilité, et puis il y a cette émotion qui m’affecte. Je suis là dans quelque chose de figé, figé par cette notion de “moi je”.
Pour explorer les émotions, je reprends une citation de Boileau qui disait “Chaque émotion parle en langage particulier”, on pourrait dire qu’une personne sous l’emprise d’une émotion parle un langage particulier, on emploie un certain vocabulaire, on pourrait même faire des listes de vocabulaire utilisé.
La tristesse, elle voit le monde d’une certaine manière, d’une manière terne, d’une manière grise. Il n’y a rien à attendre d’un monde sous l’emprise de la tristesse.
La confusion dont je parlais avec Spinoza, la confusion fait croire que cette vision terne du monde, ou le monde terne que l’on voit, et bien c’est la réalité, c’est une réalité objective. Et on sait très bien, lorsqu’on essaie de convaincre une personne triste qu’il y a plein de choses sympas, que ça ne marche pas. Elle dira “Non, non, je suis déjà allé manger dans ce resto, ce n’est pas super”... Cette pièce de théatre est géniale ! “Ah non, j’ai vu les critiques, et lui ou elle, je ne l’aime pas du tout, alors bon...” Cette manière de voir le monde terne comme n’ayant rien à en attendre, c’est le langage de la tristesse, mais l’irritation c’est un autre langage.
L’irritation, c’est “les choses sont pas comme elles devraient être : c’est pas normal, c’est dégueulasse !”.. (“Dégueulasse”, je ne pense pas que ce serait le terme beaucoup utilisé par la tristesse) Mais l’irritation, il y a quelque chose de faux, de tordu, ça va pas.
L’inquiétude, c’est encore autre chose. L’inquiétude c’est : “Le monde, il est plein de danger”. Il y a des dangers partout: “on sait jamais”. Ce n’est pas évidemment qu’il y ait de danger nulle part, mais sous la forme de l’inquiétude, c’est exagéré. Cette vision du monde, elle est prise pour objective. Si vous parlez à une personne de tempérament inquiet, elle va essayer de vous convaincre que vraiment il y a des dangers partout. Elle écoutera peu d’ailleurs vos arguments pour dire “Y en a quand même pas partout”.
Le désir intense, c'est croire que cette chose, cette personne, cette situation est extraordinaire. “Cette voiture est extraordinaire.” …enfin ça dépend de vos choix : finalement, quand on n’est pas dans la même sphère, on se dit “Ouais bon, ça va…”. Ou bien une personne qui vous présente son nouveau compagnon ou sa nouvelle compagne : “Elle est extraordinaire !” et puis voyez la personne et vous vous dites, “Ouais, elle est sympa, mais enfin en faire la 8ème merveille du monde, c’est quand même un peu exagéré.” Donc on voit bien que le désir intense a une manière qui n’est pas objective de voir le monde. Il place un potentiel de satisfaction inadéquat sur une situation, une personne, un objet.. Donc là il y a une vision trouble de la réalité. Ça peut arriver des fois pour les vacances, on lit le prospectus “ça va être génial etc.” et puis au bout de deux jours on se dit “Ouais, bon, qu’est-ce qu’on fait là, je sais pas…”. Pourtant c’était prometteur, c’était "Wah Génial!”.
Je me rappelle un fait très particulier : avec Patricia on était arrivé à Ko Samet, il y a bien longtemps en Thaïlande, wah, c’était une eau turquoise, pas une vague etc. et des petits bistrots c’était génial. Mais au bout de trois jours, bon OK : “Bonjour la plage, c’est super génial, turquoise, des petits restau, bon il fait vraiment très chaud, et puis voilà ,et puis finalement, ouais c’est bon…” Au début on se disait, “on va rester un mois”, et puis après “Bon ben écoute, bon c’est quand le prochain bateau, hein?” C’était très bien sur la carte postale, mais finalement, ça restait quand même limité. On voit ce que le désir peut rajouter. On a tous des exemples immenses de ces choses-là, combien le désir intense voile la réalité. On parle du désir intense : c’est très clair combien il peut être prenant, combien il peut nous attacher.
Je me rappelle quand je donnais un enseignement en Israël, une personne qui habitait Tel Aviv m’a dit : “J’ai vu une paire de chaussures rouges à Jérusalem, c’est ce qu’il me fallait, c’est extraordinaire”, alors elle a pris sa voiture, c’est quoi une heure et demi de route, je sais pas, et puis quand elle a vu ses chaussures, elle les a regardées, elle les a essayées, “Non finalement, c’est rien”, alors que pendant la retraite, elle disait, “dès qu’on arrête, je vais aller à Jérusalem pour aller acheter ces chaussures rouges”. Voilà, c’est un exemple, on trouvera certainement pas mal de traductions dans nos propres vies. Chaque émotion a son langage particulier. C'est-à- dire que chaque émotion a une vision particulière du monde. Et que dans le fond, on ne peut pas raisonner les émotions.
On a tous en tête “Le coeur a ses raisons que la raison ignore”. Ça ne veut pas dire que le raisonnement est toujours inutile. Parce que le raisonnement peut nous aider à changer la vision du monde. Si j’imagine que quelqu’un m’a fait du tort “C’est quand même inadmissible” etc., et que tout d’une coup, je réfléchis, je raisonne ou on me donne d’autres arguments, je me rends compte que dans le fond ce n’est pas juste. Ma vision était fausse, ce n'est pas cette personne qui est responsable. Le raisonnement peut changer - pas l’émotion elle-même - mais changer la vision du monde. Et on l’utilise beaucoup évidemment, c’est une des stratégies qu’on a pour être moins sous l’emprise de l’émotion. Une stratégie utile. Beaucoup de textes de philosophie donnent des stratégies comme ceci.
Mais on voudrait aller plus loin dans le sens de Vipassana, comment est-ce qu’on va traiter ces émotions dans le fond. Il ne s’agit pas là par la raison d’essayer de changer un petit peu le contexte. Mais vraiment, la question est “Pourquoi ces émotions, certaines qui nous dérangent, elles surgissent périodiquement?”. Pourquoi en méditation tout va bien, on est dans notre salle, on a la paix (surtout aujourd’hui, ça va bien), et puis tout d’un coup il y a des émotions qui peuvent surgir, de crainte, d’inquiétude, ou de colère, de frustration. Et certaines fois, ces émotions ressurgissent depuis des années, on les découvre depuis des années. Pourquoi est-ce qu'elles viennent nous déranger, alors que nous on n’a rien demandé, on est calme… et ces émotions viennent, colère etc. Donc on peut se demander pourquoi, alors qu’on devrait avoir une attitude assez simple et spontanée, de se dire, si je veux des souvenirs, autant prendre des souvenirs agréables, à tout prendre.. Mais non, ce sont les souvenirs désagréables qui surgissent.. Pourquoi ?
Alors Freud à la fin de sa vie a dit “Parce qu’elles n’ont pas été intégrées”. Ce sont les émotions qui n’ont pas été intégrées qui viennent, ressurgissent, parce qu’elles n’ont pas été intégrées. C’est comme quelque chose qui n’a pas été digéré. Et d’une certaine manière, c’est judicieux parce que c’est tendre vers un équilibre plus profond. Elles ressurgissent pour tendre vers un équilibre plus profond, alors elles se tapissent dans l’inconscient ou je sais pas où, mais elles ressurgissent, comme en disant, “il y a quelque chose qui n’est pas résolu ici”. C’est pour ceci qu’elles surgissent. Je crois que dans notre expérience, on sent bien qu’il y a quelque chose de cet ordre. Quelque chose qui n’a pas été digéré, qui revient. Donc comment les intégrer ? Et qu’est-ce que ça veut dire intégrer?
Pour intégrer quelque chose dans autre chose, il faut déjà qu’ils soient de nature semblable. On ne peut pas intégrer quelque chose dans quelque chose d’autre qui est complètement différent. C’est difficile d’intégrer une note de musique dans une peinture (bon il y a des artistes, ils sont très forts…) Mais si on reste dans des choses très simples, on ne peut pas mélanger, intégrer des choses qui sont disparates. Pour qu’une chose puisse être intégrée dans une autre, il faut déjà qu’elles soient de nature similaire.
Et l’émotion pour être intégrée, pour être intégrée dans l’esprit, dans la conscience, il faut déjà réaliser que cette émotion, elle est de même nature que la conscience : ce n’est pas une chose, ce n’est pas un objet, ni une sensation corporelle. Pourquoi ce n’est pas une sensation corporelle, parce qu’une sensation corporelle, elle n’a pas de sens. Elle n’a pas un langage particulier.
Je pourrais avoir la lourdeur dans la poitrine, ce n’est pas une émotion. Mais si derrière cette lourdeur dans la poitrine, il y a de la tristesse, c’est l’émotion qui se manifeste à travers cette lourdeur dans la poitrine. Elles sont jointes : l’inscription corporelle et l’émotion travaillent ensemble, mais l’inscription corporelle n’est pas l’émotion. Parce que l’émotion c’est justement quelque chose qui est de l’ordre mental. L’émotion a une vision particulière du monde, pas la sensation corporelle.
Tension dans les épaules, dans la nuque, ce n'est pas une vision particulière du monde. S’il y a une tension dans la nuque parce que je suis énervé etc. ça c’est une vision du monde. Donc, cette distinction est importante, parce que dans le fait d’explorer les émotions, il va falloir pouvoir faire cette distinction. Si on essaie d’être de plus en plus en rapport avec l’inscription corporelle, en pensant qu’on va toucher l’émotion plus profondément, ça ne joue pas.
Je reprends l’exemple : si j’ai cette tension dans la poitrine, c’est bien, je vais être attentif, je ne vais pas m’évader, et puis tout d’un coup, ça va brûler, et là je vais découvrir peut-être la tristesse. J’ai laissé l’attention ouverte pour que cette sensation de chaleur - par exemple dans la poitrine - puisse révéler la tristesse. Si j’étais obnubilé par la sensation elle-même, par exemple “chaleur chaleur chaleur”, à ce moment là je ne vais pas réaliser que le sens de ceci est la tristesse (ça pourrait être une autre émotion d’ailleurs).
On pourrait dire que l’émotion, le phénomène d’émotion c’est un amalgame d’une inscription corporelle (ça affecte le corps, ou le corps s’affecte, le corps reçoit l’émotion à sa manière, gère l’émotion à sa manière), de ce qui est proprement l’émotion (cette qualité d’esprit, qui est difficile à définir, tristesse, désir etc.), et de la vision du monde (triste, gris, etc.) Évidemment, on parle de généralité : dans notre cas particulier, il est clair que ce n’est pas seulement l’inquiétude en général, c’est pas seulement la tristesse en général.
Peut-être que je suis inquiet par rapport à une personne de mon entourage, peut-être que je suis en colère par rapport à quelque chose qu’on m’a fait. Donc il y a bien là un sens. “Alors ce qu’on m’a fait, c’est dégueulasse” ça veut pas dire que les gens ne font pas des choses dégueulasses, ça veut dire que si je reste à ce niveau-là, je vais rester bloqué.
Donc déjà commencer à faire cette distinction : “tiens voilà, il y a cette irritation, cette colère”, relier la colère par rapport la situation qui n’est pas agréable, et puis peut-être la sentir corporellement. C'est le premier temps.
Maintenant, il va falloir se disposer à ressentir vraiment l’émotion, comment est-ce que je la ressens ? Pas l’observer qui me tient à distance, et si je reste bloqué dans l’inscription corporelle… ça c’est ma manière de comprendre, alors je ne sais pas si c’est juste, je vous propose ça : j’ai l’impression que l’inscription corporelle, elle ne joue pas avec l’émotion, elle joue contre l’émotion.
L’inscription corporelle est là pour contenir, pour que nous ne soyons pas débordés par l’émotion. C’est comme si l’organisme essayait un petit peu de gérer les choses, donc contient l’émotion, ce qui fait que si on reste complètement bloqué sur l’inscription corporelle, on reste dans cet effet de contenir l’émotion.
On ne va pas briser cette manière de contenir, on va reconnaître qu’il y a une manière d’essayer de gérer cette émotion-là. Je gère ici, je bloque la poitrine pour ne pas sentir cette tristesse, je vais sentir la tristesse derrière, et puis dans la mesure où je commence à m’ouvrir un petit peu au fait de pouvoir ressentir la tristesse, je vais me rendre compte que je suis moins dans la crispation, dans le fait de vouloir contenir la tristesse, parce que je me rends compte que je peux en éprouver un peu plus. Ça jouera pour toute autre émotion.
Autrement, on joue le jeu du contrôle pour ne pas être débordé, et on voudrait par ce contrôle toucher plus d’émotion, alors qu’on reste dans quelque chose de figé. Donc ici, on ne va pas observer l’émotion, on se place du point de vue de l’émotion qu’on ressent: je ressens la tristesse, ou l’irritation etc. l'irritation par rapport à quelque chose, et maintenant je ressens cette inscription corporelle qui essaie de gérer, de ne pas être débordé, et lentement, je vais pouvoir explorer : est-ce que je peux toucher un petit plus cette inquiétude, ou cette angoisse, ou cette tristesse… En me rendant compte : maintenant est-ce que je peux la ressentir un petit peu plus. On va se rendre compte qu’à ce moment-là c'est possible. Pas à pas. On ne va pas sauter dans l’émotion. Pas à pas on peut s’ouvrir un petit peu plus. Et à ce moment là plus on va s’ouvrir à ressentir l’émotion, moins on aura besoin de la contenir, et quand l’émotion ne sera plus contenue, enfermée, elle va s’intégrer dans la présence elle même, ça va être juste un aspect de la présence, comme on a parlé ce matin de la somnolence, là ça va être juste une qualité de la présence, et à ce moment là c’est vécu comme plénitude, l’émotion est vécue comme plénitude parce que c’est la plénitude de la présence.
Je me souviens… je vous donne un exemple, pas que j’arrive toujours à faire ça, mais une fois où ça a marché. C’était la nuit donc, je me réveille un petit peu, j’avais quelque chose qui me dérangeait, tout à coup je me rends compte que c’est de l’angoisse. Je me dis tiens, il va falloir explorer un petit peu ce que j’enseigne. Et en essayant de ne pas contenir, mais d’être là vraiment, laisser la présence de l’angoisse se développer pour l’accueillir, alors ça a pris quand même pas mal de temps, et à un moment quand j’ai pu vraiment m’ouvrir, à ce moment là c’était vraiment la plénitude de la présence, et je me disais “J’adore l’angoisse” parce que tout d’un coup, ce n’était pas du tout quelque chose de contraignant, ça révélait la présence. Cette angoisse était pure présence, même si l’apparence était l’angoisse. Alors je dis pas que je suis toujours capable de faire ça, mais je donne l’exemple où ça a marché, c’est pour ça que je peux vous le dire, parce que si j’avais aucun exemple où ça marche, je vous le dirai pas : quand même au moins avoir l'honnêteté de dire “Tiens, ça peut jouer”.
Mais c’est là évidemment qu’est la grande richesse de la méditation, parce que ce qui nous dérange dans la vie, ce sont les émotions, ce ne sont pas les sensations corporelles. Se rendre compte que c’est un cheminement qui permet de les intégrer. Quand on peut lier l’émotion et son sens - il faut lier les deux : si j’ai peur, peur de quelque chose, si je suis irrité, c’est par rapport à quelque chose - dans le présent, ça décrédibilise la situation. On se dit “Mais qu’est-ce que je m’énerve avec ça, mais qu’est-ce que je peux me casser la tête avec ce truc qui date de cinquante ans (enfin un peu moins pour beaucoup d’entre vous) .Pourquoi, pourquoi je garde ça en moi-même ?” Dans l’instant présent, ça n’a plus de sens. Et à ce moment-là, l’émotion est vraiment éliminée, elle est vraiment intégrée. Comme cheminement, c’est extrêmement bref, mais ce qui me semble important ici, c’est de souligner que la méditation Vipassana est un moyen d’intégrer les émotions et de les dépasser. Ce n’est pas un moyen de les gérer, de les tenir à distance, mais c’est un moyen de les gérer, et de s’en libérer.
Encore juste un ou deux mots sur les pensées : gérer les pensées se fait à différents niveaux : on en a évoqué un, c’est déjà de prendre conscience si elles ont trait à l’avenir au passé ou au présent. Quand elles ont trait au présent, ça veut dire que c’est une interprétation de ce qui se passe dans l’instant. Le problème c’est que si on reste avec l’interprétation, on a quitté l’expérience.
Je vais prendre un exemple simple, voilà je suis en train de méditer, j’ai des sensations dans le genou, ça devient douloureux, ça brûle. Je vais me dire “Ben voilà c’est normal parce que j’ai eu un accident à telle et telle époque, oui c’est normal… Et puis finalement cette position n'est pas très bonne pour… etc. ” Là, je suis dans l’interprétation, je suis plus dans la sensation. (Ce qui ne veut pas dire que si c’est judicieux, il ne faut pas se lever et s'asseoir sur une chaise : évidemment qu’il faut faire ça, il fallait commencer par ça). Là, je suis dans l’histoire que je me raconte par rapport à l’expérience. Je suis plus dans l’expérience. Donc je me lève et je vais m'asseoir sur une chaise parce que c’est mieux, mais je reste quand même dans l’expérience elle-même. C’est tout simple. Évidemment, il y a beaucoup de manières d’interpréter l’expérience présente. Ça c’est un type de pensée.
Si les pensées sont récurrentes, c’est possible qu’il y ait une émotion derrière. Irritation, colère ou des choses comme ceci. Quand la pensée y revient, quelquefois le lien n' est pas aussi évident. On pense à quelque chose et on se dit tout d’un coup on se dit “Qu’est-ce que ça a dans le fond comme connotation ?” et on se rend compte qu’on est irrité par rapport à quelque chose.
Quand c’est le cas, on se lie à l’irritation, “Est-ce que je peux m’ouvrir à cette irritation ?”. À ce moment-là, le circuit des pensées va cesser, parce qu’on a pris le message : “C’est de l’irritation”. Ça pourrait être autre chose, le désir, du découragement, du doute : “Oui mais quand même, moi je trouve qu’on est en bas, il n’y a pas de fenêtre, on respire pas, etc. C’est pas le mieux pour méditer, pour la respiration, etc. Non mais quand même, on serait bien mieux en haut, on pourrait ouvrir les fenêtres…” Évidemment; si on peut faire ça… Mais on peut aussi passer tout le week-end à penser ça, on aura perdu le week-end, on n’aura été ni en haut, ni en bas… Donc, découvrir s’il y a une émotion sous-jacente.
Un autre aspect, c’est que si l’expérience sensorielle est claire, elle ne se fait pas passer pour autre chose. Si je sonne le gong, l’audition, c’est l’audition d’un son. La pensée, elle, n’est pas honnête. Parce qu’elle se fait passer pour quelque chose d’autre. La pensée d’une personne se fait passer pour une personne, mais ce n’est pas une personne. Si je pense à une amie ou un ami, cette pensée-là n’est pas une personne. Mais quand ça apparait dans mon esprit, c’est une personne. Parce que c’est le substitut pour une personne. C’est la richesse de la pensée.
Si on doit construire un grand bâtiment, il faut bien pouvoir imaginer, faire des plans : cette représentation va permettre de construire un grand bâtiment. Parce que ce n’est pas le bâtiment. Mais s’il fallait construire le bâtiment pour imaginer le bâtiment, ce serait impossible. C’est la richesse de la pensée, Planifier, faire des bilans etc. Mais quand on prend la représentation pour l’objet lui-même, à ce moment-là on est dans la confusion.
On pourrait très bien être en train de méditer, il y a une personne qui vient : on pense à une personne. On s'énerve, on s'agace, on prend un dialogue “Mais c’est dégueulasse, ce que tu m’as fait”. La personne elle n’a pas été là, elle n’en sait même rien. Elle ne sait même pas qu’elle est venue dans votre week-end à Paris, rien du tout ! “Qu’est-ce que t’as fait toi ce week-end ? – Ah bah moi j’étais dans la forêt de Fontainebleau, super. – Ah bon, c’est bizarre, je t’ai rencontré au Forum 104... ” On confond la représentation pour ce qu’elle représente. C’est là qu’est la confusion.
Dans la méditation peuvent surgissent d’autres lieux : peut-être lundi j’ai un rendez-vous important, j’imagine déjà l’endroit où j’ai ce rendez-vous. J’anticipe, mais cette représentation n’est pas l’endroit. Je m’imagine le RV que j’ai lundi, un rendez-vous important, pour le boulot, etc. et puis lundi j’arrive, mais ça n’a rien à voir avec ce que j’avais imaginé “C’est dégueulasse, ils ont changé la décoration”.
Même cette imagination, elle n’est pas aussi spécifique que la réalité. Si on pense à une personne, est-ce qu’on la pense debout, assise, avec la lumière qui vient de côté, qui vient de dessus. Ces questions-là sont absurdes, ce n’est pas comme la vision.
Quand on est pris parfois dans les pensées, reconnaître la nature de la pensée. Elle est immensément riche, mais aussi trompeuse, dans le sens où elle n’est pas ce qu’elle apparaît, où il y a une différence entre l’être et l’apparaître. Un psychologue linguiste [Alfred Korzybski] a écrit un livre qui dit “La carte n’est pas le territoire”, et on pourrait dire que ça s’applique aux pensées.
Voilà je finis avec une citation qui est remarquable. Je ne sais pas exactement ce qu’elle signifie, donc vous pourrez essayer d’explorer. C’est une citation d’un grand penseur qui s’appelle Wittgenstein. Quand j’ai lu ça, je me suis dit, c’est tellement intéressant ! Vous êtes prêts à noter ? Voilà ce qu’il dit:
“Qu’est-ce qui nous donne toujours le sentiment que comprendre une phrase signifie comprendre quelque chose qui est extérieur à elle ? “
On croit que comprendre, ça nous donne quelque chose qui est dehors….
Voilà, je vous laisse avec Wittgenstein..
Audio
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